Le regard de l’amazone
MONTRÉAL | JUIN 2018
Pourquoi une œuvre retient-elle notre attention? Qu’est-ce qui se produit quand une toile nous fait un effet si puissant qu’on ne peut passer à côté? À quoi attribuer ce sentiment merveilleux d’être, tout à coup, devant une image si parfaitement en accord avec soi? Comment expliquer qu’on ne peut faire autrement que de repartir avec ce tableau, alors qu’on était entré dans la galerie juste pour voir…
Parce que nous sommes victimes de l’effet Sandrine Dufour! Et que nous avons succombé, de façon heureuse, amoureuse et consentante, il va de soi!
Artiste visuelle, Sandrine Dufour excelle plus particulièrement dans les portraits féminins. Elle possède la faculté d’attribuer une âme à un support papier; en fait, elle sait insuffler la vie à ses créations. Passionnée, elle peut passer des heures, voire des jours, à peaufiner son œuvre. Les regards s’avèrent forts, puissants, impressionnants. Elle travaille les yeux de ses personnages très longtemps pour trouver l’intensité désirée.
Et ce qui rend tout ceci encore plus surprenant : elle a émergé sur la scène culturelle il y a trois ans à peine!
D’origine française, arrivée au Québec en 2001, Sandrine Dufour affirme être autodidacte; pourtant, sa formation générale l’a préparée à devenir une créatrice. L’histoire de l’art enseigne magnifiquement l’Histoire, et c’est primordial à son avis : « Dès la maternelle, avant qu’ils aient des a priori, on doit placer les enfants en contact avec l’art », dit-elle avec enthousiasme. Professeure au primaire à compter de 2002, elle met en œuvre tout de suite ce plaisir de découvrir à travers l’univers artistique. Cela constitue un accélérateur pour qu’elle-même y plonge les mains, matérialisant de multiples façons son bonheur de faire expérimenter la joie de créer. Elle se laisse prendre au jeu et débute des ateliers de fusain et pastel sec en 2006. Toutefois, ce n’est qu’en 2015 qu’elle ose publier son travail sur les réseaux sociaux. Rapidement, elle connaît du succès et est invitée en galerie.
Tout commence chaque fois par un croquis précis, au fusain, son médium de prédilection; un outil à la fois universel et très personnel, selon elle. Ensuite, les pigments parlent pour transmettre le message. Le féminin se trouve au cœur de sa production. Ses œuvres constituent autant de voyages à la rencontre des visages du féminin, de la femme moderne à la déesse ou à la guerrière. Des animaux s’ajoutent parfois à ses compositions; ils incarnent une autre facette des humains, tous deux intimement liés. Quelques hommes apparaissent aussi dans ses créations, mais ce sont majoritairement des femmes qui arborent des traits masculins, parce qu’il y a toujours cette dualité. Puis, les textes arrivent sur la toile de façon spontanée et naturelle.
Ses tableaux représentent des miroirs pour les gens, et pourtant, il n’y a pas forcément de ressemblance. Un jour, une dame lui a écrit : « Cette femme, c’est moi; je veux cette toile chez moi! » L’artiste se voit comme une marieuse, surtout lorsque la personne ressent un coup de foudre et repart avec son acquisition, serrée sur son cœur.
« Je ne suis pas très rapide; le processus est toujours différent, car je ne désire pas créer sous pression. Comment savoir qu’une œuvre est terminée? Bien des lunes parfois sont nécessaires pour arriver au bout de la toile, au bout de moi; il n’y a pas de date butoir trop proche, pour me laisser le temps d’y revenir autant de fois que requis, jusqu’à ce que ce je l’aime, que je souhaite la garder pour moi! », confie-t-elle.
Après avoir été l’artiste du mois à la galerie Pauline Paquin de Saint-Sauveur en mars dernier, elle propose un solo de ses œuvres récentes, une exposition prévue à la fin d’octobre 2018, à la galerie L’Artiste de Montréal.
En observant son parcours, on comprend que le moment de montrer son travail ne correspond pas à celui où elle devient une artiste. Elle crée des images et des mots depuis toujours. Elle griffonne, écrit, raconte, dessine, enseigne et offre son talent aux enfants dans ses classes. Mais son élan vient de l’urgence d’être en accord avec sa voix intérieure. Ce moment où on ne peut plus éviter l’évidence. Suivre sa voie représente alors la chose la plus extraordinaire. Et, surtout, le succès arrive, justement parce qu’on est connecté sur notre propre puissance.
Un recueil d’images et de poésie est à venir, assurément, parce que la prose qui émerge de ses toiles s’avère complémentaire à sa création picturale. L’œuvre est ainsi complète et parle, littéralement, au spectateur. Son entrée dans la cinquantaine effectuée de façon vibrante et audacieuse propulse Sandrine Dufour vers des sommets inespérés; une inspiration pour quiconque aspire à changer de vie, même en son mitan.