Rapprocher la fiction du réel
MONTRÉAL | OCTOBRE 2014
Connaissez-vous le matte painting et le concept art? Bien sûr que oui, puisque vous visionnez des films de temps à autre. Frédéric St-Arnaud est un Victoriavillois d’origine qui s’illustre en pratiquant ces procédés dans le milieu cinématographique; nous l’avons rencontré pour en apprendre davantage.
Au Québec, dans des films comme Il était une fois les Boys, ou internationalement pour des mégaproductions comme Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, Frédéric St-Arnaud est devenu une référence dans le monde des artistes en peinture cache numérique (traduction de matte painting) et en concept art. Nous lui demandons d’abord de nous en dire plus sur ces deux notions bien distinctes.
« Lorsqu’on parle de concept art, commence-t-il, il s’agit de pondre une idée et de la traduire visuellement par ordinateur. En cinéma, on doit par exemple dessiner une créature imaginaire pour une production. Alors le réalisateur peut demander à la visualiser et à en discuter devant l’image, afin de s’assurer que celle-ci correspond à ses besoins. » Concernant le matte painting, il le définit comme l’art de créer des environnements photoréalistes pour les insérer derrière des scènes tournées en studio devant un écran vert. Il s’agit de deux formes d’art qui exigent des compétences multiples et spécifiques.
Fusion des mondes
Pour devenir matte painter, il va de soi qu’on doit s’y connaître en dessin, en cinéma, et être à l’aise avec l’univers numérique. « Je dessine depuis l’âge de trois ans et j’ai toujours aimé les ordinateurs. Mon père était très en avance technologiquement. Aussi, j’ai toujours adoré le cinéma en tant que téléspectateur. Pour moi, écouter un film, c’est comme faire un petit voyage d’une heure trente à deux heures dans une histoire », confie l’artiste.
Le jeune Frédéric sait qu’il veut faire carrière dans le milieu des arts. Au cégep, il apprend l’existence des logiciels 3D servant à la création d’effets spéciaux. « À cette époque, une seule école à Montréal permettait de se perfectionner avec ces logiciels et l’admission s’avérait très contingentée. On exigeait des portfolios du tonnerre et de l’expérience dans le domaine du cinéma. » Malgré plusieurs tentatives, il n’arrive pas à y entrer. Il décide donc de s’inscrire au baccalauréat en graphisme, sans perdre de vue son rêve d’apprendre à réaliser des effets spéciaux numériques.
Lorsqu’une nouvelle école spécialisée ouvre ses portes à Montréal, il tente de nouveau sa chance et remporte enfin le succès espéré. Toutefois, l’établissement ne jouit pas encore d’une excellente réputation et, à la fin de sa formation, Frédéric ne réussit pas à dénicher un emploi dans le milieu du cinéma.
« Il m’a fallu beaucoup de temps avant de collaborer à un premier film, presque quatre ans. Pendant cette période, j’ai touché à toutes sortes de choses comme des séries et de la pub », raconte-t-il. Les portes finissent néanmoins par s’ouvrir, et depuis maintenant 17 ans, il exerce le métier dont il rêvait tant.
Images plus que crédibles
Des projets les plus célèbres auxquels il a participé, notons Sin City, Terminator et La boussole d’or. Récemment, il a mis ses talents à profit pour le dernier film de Jean-Marc Vallée, Wild.
Les œuvres cinématographiques sur lesquelles il préfère travailler ne sont pas nécessairement celles qui possèdent les plus gros budgets, loin de là. « Souvent, dans les succès populaires, on retrouve des effets spéciaux du début à la fin. Donc, tu dois tellement en produire que la qualité écope. Les films qui ne requièrent que peu de ces effets offrent les plus grands défis. À ce moment-là, mon travail ne doit pas du tout paraître. Il faut que le bâtiment ajouté, par exemple, se confonde avec le reste », de dire St-Arnaud. Il admet aimer son métier pour cette raison, c’est-à-dire pour arriver à atteindre le plus haut degré d’hyperréalisme.
Techniquement, la création d’une peinture cache numérique constitue le résultat de plusieurs types de manipulation. « Il s’agit surtout de photomanipulation. C’est le rêve de tout peintre hyperréaliste de s’attarder à chaque feuille d’un arbre, mais ça prendrait des mois pour faire un matte painting alors que, dans le contexte actuel, il faut souvent en réaliser cinq en une semaine. » Pour gagner du temps, plusieurs photographies découpées et rassemblées sont utilisées pour créer une image. On ajoute la peinture numérique afin que tous les éléments soient parfaitement intégrés à l’ensemble.
Pour qui?
Puisqu’il travaille à la pige, ce sont souvent des superviseurs d’effets visuels qui font appel à ses services, selon l’ampleur (c’est-à-dire le budget) de la production. Pour les plus petits films, ce sont les réalisateurs eux-mêmes qui surveillent son travail. Dans certains cas, il collabore avec des équipes comptant des dizaines de créateurs comme lui. D’autres fois, il agit à titre de directeur artistique auprès de l’équipe; il doit alors s’assurer de la qualité de la conception des environnements destinés aux films et, surtout, que ceux-ci correspondent à la vision du réalisateur.
De plus en plus de gens se spécialisent en matte painting, mais ils demeurent encore peu nombreux, estime Frédéric St-Arnaud. « À Montréal, nous sommes peut-être une quarantaine. Ça a changé, car il y a 10 ans, nous étions à peu près 4. »
Lorsque nous lui demandons sur quel film il aimerait travailler, il répond Star Wars, sans hésitation. « Une nouvelle trilogie s’en vient, et il n’est pas impossible que mes désirs se réalisent; qui sait? » Frédéric explique avoir été influencé, comme plusieurs de sa génération, par l’univers imaginé par Georges Lucas.
Malheureusement, il ne peut nous parler des œuvres cinématographiques sur lesquelles il bosse actuellement, étant donné les clauses de non-divulgation qu’il signe pour chaque mandat. Une petite visite à starno.net vous permettra néanmoins de visionner des extraits de ses réalisations et de vous imaginer ce qu’il nous réserve encore.