Raconter pour transgresser l’oubli
SHERBROOKE | AVRIL 2019
Les récents tableaux de la peintre-collagiste Adèle Blais proposent des portraits de femmes, celles-là mêmes que l’histoire androcentrique a tues, mal représentées ou oubliées. Avec Les Sublimes – Hommage aux femmes qui ont osé (2018), son exposition devenue livre d’art, Blais a tenté de réhabiliter ces modèles féminins transgressifs (Claudette Colvin, Mileva Einstein, Virginia Woolf, Grace Kelly, Camille Claudel, Marie Curie, Billie Holiday, Jeanne d’Arc, etc.) qui ont été victimes des idéologies puritaines de leur époque. Pour ce faire, elle porte leurs voix à sa façon, c’est-à-dire en leur offrant une représentation plus juste, à l’image de la force dont elles sont porteuses.
Depuis ses débuts il y a quinze ans, on a souvent dit de Blais qu’elle était l’une des artistes féministes phares de Sherbrooke à cause de l’omniprésence de figures de femmes dans ses créations. Cela dit, s’il lui a fallu de nombreuses années pour assumer le titre d’artiste, il lui en a fallu encore plus pour reconnaître la portée idéologique (et politique) de ses œuvres. En fait, lorsqu’elle crée, elle cherche avant tout à raconter des histoires, un aspect « littéraire » qui caractérise bien sa démarche artistique. Et il se trouve qu’intuitivement, les femmes marquantes de l’histoire ont souvent alimenté son imaginaire, sans que cela soit prémédité. Cette curiosité remonte à l’enfance, alors qu’elle constatait déjà l’absence des femmes dans les livres qu’elle consultait, un angle mort qu’elle a cherché à combler plus tard par le biais de l’art.
Son récent projet de vingt-quatre tableaux (représentant vingt-six femmes non-conformistes) a pris deux ans à naître. Il a d’abord été présenté au Centre culturel Yvonne L. Bombardier, avant de devenir un livre. Pour donner une touche poétique et émotive à ses recherches documentaires, elle a collaboré avec Nathalie Plaat, qui y signe les textes accompagnant chaque portrait. Un projet qui a rapidement pris une tournure toute personnelle. En effet, défendre ainsi la parole de ces femmes injustement condamnées par la société patriarcale a nécessairement éveillé un sentiment de révolte chez l’artiste, et c’est pourquoi chaque tableau de Blais est teinté d’une façon ou d’une autre par sa vie intime. En outre, chacune de ces femmes lui a inspiré la désobéissance et la transgression, une recherche d’authenticité qui décrit bien le style de cette artiste autodidacte qui ne cherche pas à rentrer dans le rang.
D’ailleurs, le style particulier de ses tableaux est identifiable en un coup d’œil. Que ce soit par leurs coiffes colorées et riches de symboles, les lignes qui découpent leurs visages ou leurs pommettes clownesques, ses portraits partagent une esthétique théâtrale indéniable. À ce titre, Blais reconnaît que le fait d’avoir grandi auprès d’artistes qui s’adonnaient au collage et à la fabrication de masques a certainement eu une influence sur sa propre démarche.
Ces jours-ci, elle planche sur une collaboration avec la chanteuse Gaële, qui lancera en mai le deuxième volume de son triptyque Partir à point. Pour bonifier cet EP où elle revisite des chansons qui l’ont marquée à travers les années, elle a demandé à Adèle Blais de peindre le portrait des femmes célèbres qu’elle a choisi de jumeler aux hommes auxquels elle rend hommage en chanson. À ce propos, Blais donne l’exemple d’un tableau d’Ella Fitzgerald sur lequel elle travaille, et qui sera associé à une chanson de Serge Fiori. Cette invitation à prendre part à un projet humain qui décloisonne les genres trouve une résonnance toute particulière chez Blais. En effet, on a parfois interprété son travail à tendance féministe comme une critique envers les hommes. Cette fois, en jumelant ainsi ses tableaux aux textes d’auteurs masculins sélectionnés par Gaële, son travail se voit éclairé d’une lumière inusitée. Cette riche expérience se conclura de son côté par une exposition en mai et en juin.
Outre ce projet multidisciplinaire, Adèle Blais prépare également une exposition prévue pour décembre 2019 à Boréart, le Centre d’exposition en arts visuels de Granby. Elle se dit aussi inspirée ces temps-ci par sa lecture du livre Les femmes artistes sont dangereuses (2018), de Laure Adler et Camille Viéville, ce qui pourrait bien influencer ses créations futures. Enfin, elle rêve un jour de produire une exposition qui s’intéresserait uniquement à des femmes contemporaines, ce qui lui permettrait de les rencontrer et de les interviewer pour nourrir sa créativité. Une idée qui pourrait bien se concrétiser dans un proche avenir.
Pour en savoir plus sur Adèle Blais et son œuvre, visitez sa page Facebook ou son site officiel.
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