Une plume qui ne manque pas de flair
TINGWICK | MARS 2014
Nommée Créatrice de l’année lors du GalArt 2013, Maureen Martineau n’en a pas fini avec les intrigues. Elle partage avec nous quelques ingrédients de sa précieuse recette.
Après des années à œuvrer dans le monde du théâtre, dont 33 ans au Théâtre Parminou où elle a été tour à tour comédienne, auteure, metteure en scène et codirectrice artistique, la Tingwickoise lance son premier roman, Le Jeu de l’Ogre, en 2012. Déjà, elle annonce qu’il y aura une suite. L’Enfant promis paraît à la fin 2013 et confirme sa fine maîtrise du récit policier, un genre où, comme dans une enquête, il n’y a pas de place pour l’erreur.
Existe-t-il des liens entre le théâtre et le roman policier?
Il y en a plus qu’on peut l’imaginer. On est toujours pris avec ce que l’on connaît. Martin Michaud est avocat; ça transparaît dans ses romans policiers. Jean Lemieux est médecin; on en retrouve toujours un dans ses intrigues. Pour ma part, ce que j’amène du théâtre dans mes romans, c’est la finesse des personnages. Au théâtre, j’aimais créer des personnages plus vrais que nature. Dans le roman, on peut aller plus loin, car il n’y a plus seulement place à ce qu’ils disent. Avec le genre policier, je m’intéresse au profil de criminels qui ne sont pas que des gros méchants et à qui on pourrait presque donner notre bénédiction. Parfois, on peut penser comprendre pourquoi ils commettent leur crime. Je veux que le lecteur soit bouleversé et voie de l’intérieur la détresse humaine.
Par quoi commence-t-on lorsqu’on écrit un roman policier?
Au départ, je savais que j’écrirais une série, car c’est ce que je préfère. J’aime retrouver les enquêteurs à chaque tome. J’ai dû inventer mon personnage principal; est alors née ma jeune enquêtrice, Judith Allison. Puisque je voulais créer une longue suite, quand le récit commence, elle est jeune, elle sort de l’école; il s’agit de sa première mission. Le roman d’enquête constitue un genre bien précis, alors on commence par ça : elle et son équipe, qui évoluent à travers chaque roman. Ensuite viennent les criminels, des gens normaux qui, à un moment donné, franchissent la ligne et traversent du côté illégal et sombre des choses. J’essaie de voir quel méfait le protagoniste a commis, et creuse son univers. Alors le crime arrive assez vite. Puis, je construis l’histoire. Comment fera-t-il pour semer ceux qui enquêtent à son sujet? Comment la policière et son équipe vont mener l’enquête? C’est toujours ce chassé-croisé qui se dessine.
Comment a évolué le personnage de Judith Allison, du premier tome au deuxième?
Dans le premier roman, on apprend qu’elle a un peu peur de la vie. C’est assez étrange, puisqu’elle exerce un métier dangereux. Sur le plan personnel, elle n’a pas encore quitté le nid familial et a perdu sa mère à l’adolescence. Elle s’entend très bien avec son père, qui représente presque l’homme de sa vie, ce qui l’empêche de sauter hors du nid et de s’engager avec un homme. Le tome initial porte cette marque; il s’agit de sa première enquête et elle manque de confiance en elle, même si elle a été une des meilleures de sa cohorte. Elle vit dans le doute et obtient un poste avec beaucoup de collègues masculins à diriger. C’est comme un professeur qui enseigne devant sa première classe. Il rencontre des difficultés, apprend à se connaître à travers cette nouvelle expérience. Deux ans plus tard, dans L’Enfant promis, Judith a pris du galon. Elle a acheté une maison à Tingwick et est autonome. Toujours célibataire, elle s’engage un peu plus avec un homme. Je veux qu’avec chaque enquête, elle découvre le drame humain exprimé dans le crime, que l’aventure la transforme et qu’elle se positionne d’un point de vue éthique par rapport à certaines questions.
L’action des deux romans se déroule principalement dans la région. Sachant que plusieurs de tes lecteurs y vivent, as-tu le souci d’être plus précise dans ta description des lieux ou est-ce une règle générale du genre?
Les romans policiers sont souvent précis, bien campés dans le territoire. Je pense que, dans les affaires policières, chaque détail demeure important. Dans quel monde se trouve-t-on? Évolue-t-on dans un univers bourgeois, dans celui de la drogue? Pour analyser un crime, il faut comprendre la culture du milieu visité. Pour ma part, je souhaite explorer les particularités de l’univers rural. Quand tu te promènes dans les rangs, tu te dis qu’un criminel peut se cacher n’importe où et qu’on pourrait ne jamais le retrouver dans ces vastes étendues. On peut s’y perdre. En même temps, les populations sont petites, tout le monde se connaît, mais personne ne veut dénoncer quelqu’un. Donc, tous ces facteurs jouent dans la façon dont va s’orchestrer l’enquête.
Où en es-tu avec le prochain tome de cette série?
Le troisième prendra plus de temps, car l’entreprise s’avère un peu plus ambitieuse. J’ai complété la documentation, mais ce fut beaucoup plus long. Je vais traiter cette fois de la question de l’amiante et de santé publique. L’histoire se déroule entre deux continents, entre le Centre-du-Québec et l’État du Jharkhand, en Inde. Bien sûr, il s’agit de fiction, mais il faut que ce soit totalement plausible. Les bases et les liens doivent être possibles. C’est comme construire des ponts; il faut que ça tienne le coup. Je pense avoir trouvé quelque chose d’assez béton. Mon plan fait 25 pages, et le titre provisoire est L’Activiste, car ce nouveau profil de militant, les écoterroristes, m’intéresse. Ils commettent des actes condamnables, mais leur cause est souvent juste. Il y a une contradiction dans ce personnage et j’aimerais qu’il soit au cœur de deux romans, peut-être…