Le partage des revenus dans le monde de la musique (ou l’art de savoir compter)
AVRIL 2020
Depuis l’arrivée des plateformes de téléchargement tel que Napster il y a plusieurs années, les artistes font des pieds et des mains pour obtenir le contrôle sur la diffusion de leurs chansons. Jadis, une des principales sources de revenus (et l’une des plus payantes), la diffusion radiophonique n’est plus la seule place pour les artistes. L’arrivée massive des diffuseurs de musique en continu (Deezer, Tidal et Spotify, pour ne nommer que ceux-là) et aussi l’émergence de YouTube dans les habitudes d’écoutes des amateurs de musique ont complètement changé la donne dans la redistribution des droits de revenus entre artistes, producteurs et diffuseurs.
Ce n’est donc plus un secret pour personne : l’épineuse question du partage des redevances pour les auteurs de pièces musicales est sur toutes les lèvres. Le chanteur québécois Pierre Lapointe a fait une envolée endiablée, allant même jusqu’à partager le total de ses propres gains : « Pour un million d’écoutes de ma chanson, Je déteste ma vie (dont j’ai écrit les paroles et la musique) sur l’application Spotify, j’ai touché 500 $ », a dévoilé Pierre Lapointe au Gala de l’ADISQ. C’est maintenant connu, le streaming est beaucoup plus payant pour l’utilisateur que pour celui qui offre son contenu.
De grandes questions demeurent : combien la musique numérique rapporte-t-elle vraiment aux artistes concernés? Quel est le montant que chaque artiste reçoit de la vente d’albums ou de chansons pour chaque produit physique ou chaque écoute en ligne? Et ce n’est pas simple d’obtenir les vrais chiffres. Les accords de distributions varient entre pays et sont souvent confidentiels. Par contre, plusieurs études et recherches sur le sujet ont permis d’obtenir des chiffres assez surprenants sur la véritable distribution des revenus.
Suite au vote sur la loi DeBill donnant accès à certaines informations concernant les droits d’auteur au Royaume-Uni, le blogueur David McCandless a cumulé le plus d’informations possible sur ce sujet et les a analysées pour obtenir des chiffres surprenants. Selon McCandless, une maison de disques recevait en 2010, 2 $ de bénéfice par CD vendu, alors que le profit atteignait plus de 6 $ pour la vente de ce même album en numérique¹.
Plus récemment, une étude française menée par le cabinet Bearingpoint (www.bearingpojnt.com/fr-fr/) ( qui a analysé les coûts de production et les revenus de plus de 127 nouveautés parues en 2014), a révélé que les artistes ne touchent que 13.3% de l’ensemble des revenus du producteur. En réponse à cette étude, l’Adami, qui gère les droits des artistes et musiciens interprètes, confirme le préjudice fait aux artistes et demande des mesures concrètes pour obtenir un juste partage des rémunérations.
De plus, les revenus qui sont attribués aux artistes ayant des chansons sur la plateforme suédoise Spotify sont partagés proportionnellement au nombre d’écoutes globales. En fait, c’est le nombre total d’écoutes de chaque morceau par rapport aux autres artistes (pas seulement le nombre d’écoutes de leurs propres chansons) qui détermine quel revenu est versé à l’artiste. Lors d’une récente entrevue à RDI économie, la professeure à l’école des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Suzanne Lortie expliquait le processus comme suit : « Chaque écoute est comptabilisée, puis mise dans un pot. Les écoutes de l’ensemble des artistes qui sont sur la plateforme dans le monde sont additionnées. Ensuite, les revenus qui viennent des abonnements de ces plateformes sont redistribués aux ayants droit au prorata du nombre d’écoutes sur le total ».
L’an dernier, Deezer, l’un des chefs de file dans la lecture en continu, a partagé son intention de réformer le système de partage des revenus dès janvier 2020. Ce nouveau système permettrait, entre autres, de se servir des habitudes d’écoute réelles des utilisateurs lors de la distribution des profits aux artistes: « Si vous écoutez Drake tout le temps, l’ensemble de votre abonnement va aller à Drake. Vous pouvez écouter Pierre Lapointe une fois et une toute petite partie du revenu de votre abonnement va aller à Pierre Lapointe. Par contre, si je n’écoute que du Pierre Lapointe, la totalité du prix de mon abonnement sera reversée à Pierre Lapointe ou tous les autres artistes que j’écoute », ajoute Madame Lortie. Ce nouveau modèle serait plus près de ce que représentent les ventes des produits physiques, où chaque vente d’albums ne dépend pas du nombre de fois que celui-ci sera écouté, mais bien de la vente réelle de l’album.
¹ https://informationisbeautiful.net/2010/how-much-do-music-artists-earn-online/