La pochette d’un album est-il encore un outil de promotion incontournable ?
Les expressions comme « l’habit ne fait pas le moine» et « il ne faut pas se fier aux apparences» sont surutilisées. Par contre, en ce qui concerne le monde de la musique, elles représentent tout et son contraire, particulièrement lorsqu’on aborde le sujet de la pochette, qui reste encore un des moyens de promotion les plus efficaces à ce jour, et ce même à l’air du numérique. Il faut tout d’abord s’intéresser un peu à l’histoire derrière l’évolution et de la création d’une pochette pour en apprécier ses bienfaits.
Un peu d’histoire
Les 33 tours (et 78 tours) ont lancé l’attrait des artistes et du public pour les pochettes. Avec un format de 12 par 12, même le lettrage prend toute son importance. Dès son arrivée, dans les années 30s, plusieurs artistes ont vu une opportunité de se faire connaître du public bien avant qu’ils aient pu entendre une chanson de leur répertoire. Grâce au dessinateur Alex Steinweiss, qui fut responsable d’un bon nombre d’illustrations des disques de Beethoven, les ventes d’albums ont explosées. Par la suite, c’est la simplicité de l’album de Nat King Cole King Cole Trio qui assura l’impact culturel de la pochette. C’est ensuite l’art moderne et aussi la qualité des photos prises par des photographes de renom, particulièrement pour les artistes de jazz. À lui seul, le photographe Charles Stewart peut se vanter d’avoir plus de 2,000 pochettes à son actif, dont Miles Davis et Louis Armstrong. C’est d’ailleurs le photographe Phil Stern du magazine Vogue, qui peut être fier d’avoir pris le cliché de l’iconique photo sur la pochette d’Ella and Louis, célèbre album du duo Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, qui fut la première pochette à ne pas utiliser le lettrage pour indiquer le nom de l’artiste.
Clichés
Pendant les années 60 et 70, un autre changement majeur se produit. Les photos deviennent plus osées et révérencieuses, surtout grâce à l’implication des designers de mode dans la création des pochettes. C’est le cas de l’album The Velvet Underground and Nico. Dans la première version de l’album créer par Andy Warhol, la fameuse banane jaune était un collant que le consommateur pouvait retirer pour y faire une découverte. Une autre pochette interactive : celle de Sticky Fingers des Rolling Stones. Le premier pressage avait une vraie fermeture éclair!
Par la suite, les photos de base on fait place à des graphiques plus poussés ou à des idées complètement folles. Le précurseur est sans aucun doute la pochette du célèbre Sgt Pepper ‘s Lonely Hearts Club Band des Beatles, crée par Robert Frase, Peter Blake et sa femme Jann Haworth. Des heures à passer à regarder et identifier les nombreux personnages sur la pochette. Une autre pochette plus provocatrice cette fois est assurément celle de l’album de Led Zeppelin Houses of the Holy, première collaboration entre le groupe et la compagnie Hipgnosis. C’est d’ailleurs Hipgnosis qui a créé le fameux triangle sur Dark Side of the Moon, l’album phare de Pink Floyd (la compagnie a continué son implication avec le groupe et David Gilmour pour plusieurs autres pochettes).
Fantastique progression
C’est avec l’arrivée du rock progressif que plusieurs groupes ont décidé de confier leur logo ou leur pochette et d’en faire une marque de commerce. Avec des peintures futuristes ou tout à fait fantaisistes, la pochette est devenue une œuvre d’art à part entière. Le groupe Yes fut l’un des premiers à s’associer avec un graphiste pour plusieurs albums. C’est le dessinateur Roger Dean qui a pris les commandes et travaillé avec le groupe pendant plus de 50 ans ! (Il fut aussi responsable du logo iconique du groupe Asia,Uriah Heep et Gentle Giant). Comment passer sous silence l’association de Mark Wilkinson avec le groupe anglais Marillion. Grâce à des peintures éclatées, il a réussi à créer une image de marque pour le groupe. Un simple regard sur les merveilleuses pochettes de Fugazi, Script from a Jester’s Tear et Misplaced Childhood vous convaincra du talent incroyable de l’artiste (il a aussi créé plusieurs pochettes pour les albums solos de Fish, chanteur de Marillion et le groupe métal Judas Priest). Une autre figure marquante est certainement le dessinateur Hugh Syme, qui s’est fait la main avec le groupe canadien Rush (c’est lui qui a créé le fameux Starman). Syme est encore aujourd’hui l’un des artistes les plus en demande.
L’originalité donne parfois lieu à des concepts qui sont devenus populaires avec le temps. Dans les années 80 et 90, le message politique, humoristique ou simplement la qualité des graphiques ont aussi fait leur apparition en plus grand nombre chez les disquaires. Qui ne reconnaîtrait pas le commentaire social suscité par la pochette de Nevermind du groupe Nirvana? L’effet graphique de Hysteria de Def Leppard ou le côté plus léger de l’album Working Class Dog de Rick Springfield?
Made in Québec
Plusieurs pochettes ont fait écarquiller les yeux des acheteurs québécois. L’album Si On Avait Besoin d’une Cinquième Saison d’Harmonium reste aujourd’hui l’une des images les plus marquantes de la musique québécoise. C’est le peintre et graveur Louis-Pierre Bougie qui créa la superbe pochette pour le groupe. La superbe photo prise par Pierre Guimond du groupe Beau Dommage pour leur premier album est aussi superbe (elle a maintenant sa place sur un des édifices de la ruelle Beau Dommage). L’album des Cowboys Fringants, Break Syndical, ne s’est pas fait remarquer seulement grâce à ses succès entrainants. Avec un concept simple, Jo-Anne Bolduc a permis à l’album de se démarquer visuellement. Totalement à l’opposé, la pochette de l’album À Part de d’ça, J’Me Sens Ben, de Diane Dufresne, sema la controverse à sa sortie, principalement à cause de la photo de la couverture. Sur un concept et une photographie de René Derome, on peut y apercevoir la chanteuse en tenue légère.
Quelle horreur ?
Il est aussi important de parler de l’influence des mascottes dans l’image de certains groupes. Créé par Derek Riggs, Eddie the Head, la fameuse mascotte du groupe britannique Iron Maiden, couvre les pochettes du groupe depuis le début et est considéré par plusieurs comme le 7e membre du groupe. Riggs a créé les pochettes jusqu’à la parution, en 1990, de No Prayer for the Dying. Avec un visuel aussi marquant, pas surprenant que l’amateur de musique ait voulu découvrir quelle musique se cachait derrière ces pochettes incroyables. Une particularité très importante et utilisée à merveille aussi par les groupes métal est la création d’un logo, partie intégrante de la pochette et marque de commerce par excellence. Les exemples sont nombreux, mais qui ne reconnait pas instantanément le logo de Kiss, Ozzy Osbourne, Judas Priest, The Rolling Stones et AC/DC? Le lettrage aussi joue un rôle important. L’album Elvis Presley, avec son lettrage distinctif, fut aussi l’un des premiers à utiliser le lettrage sur une pochette pour attirer l’attention. C’est d’ailleurs ce lettrage qui fut l’inspiration sur l’iconique pochette London Calling de The Clash.
Et c’est l’une des forces majeures, principalement pour les groupes métal. Le souci du détail et la qualité de la majorité des pochettes sont devenus un outil de marketing indispensable. Souvent associés avec le côté horreur du cinéma, certains groupes utilisent à merveille le côté macabre et terrifiant dans toute sa splendeur. Des groupes comme Cannibal Corspe, Death ou Rob Zombie par exemple, ont toujours choisi de créer des pochettes qui représentent le groupe, mais aussi qui accrochent l’œil du consommateur (et les amateurs d’horreur aussi). D’ailleurs, le groupe Behemoth a utilisé majestueusement les avantages du format CD dans la création de son album The Satanist. Les artistes Dennis Krostomitin, Jean Emanneul Simoulin et Zbiegniew Beliak ont uni leurs efforts afin de créer une peinture pour chaque chanson de l’album, ajoutant à la compréhension de la chanson à l’aide de d’infographie.
Toujours vivant
D’ailleurs, l’avènement des livrets avec les CD a permis à plusieurs artistes de peaufiner leurs créations et de permettre à l’artiste d’exprimer plus en détail certains concepts. De plus, plusieurs rééditions ajoutent des photos inédites ou des répliques d’affiches de l’époque pour les collectionneurs. C’est d’ailleurs encore la marque de commerce pour certains groupes, notamment Depeche Mode et U2, qui travaillent avec le photographe et réalisateur de vidéos de renommée internationale Anton Corbijn depuis plusieurs années (il fut à la barre des vidéos Enjoy the Silence et One et de la photographie de plusieurs albums marquants Violator de Depeche Mode, The Joshua Tree et Achtung Baby de U2). Corbijn a aussi créé des pochettes pour R.E.M., Bon Jovi, The Killers et Bruce Springsteen.
Mais quand est-il aujourd’hui ? Est-ce aussi important à l’air du numérique de passer un temps fou alors que la pochette s’affiche sur un petit carré sur un écran de téléphone cellulaire ou une pochette pour un CD ? La réponse est oui, bien sûr. Si vous écoutez une pièce sur Spotify, qu’est-ce qui apparait en premier ? La pochette de l’album. Avec le regain de popularité des vinyles, raison de plus pour tenter d’attirer l’attention du plus grand nombre. Qui sait ? Votre pochette pourrait peut-être vous permettre de gagner un prestigieux prix Grammy !