De ferraille et de cœur

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Photo : Martin Savoie
13 décembre 2017

De ferraille et de cœur

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Photo : Martin Savoie
13 décembre 2017

INDRA SINGH

De ferraille et de cœur

Rédaction : A. A. Fréchette
Photo : Martin Savoie
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NOTRE-DAME-DE-HAM | MAI 2014

La première fois que je l’ai rencontré, Indra Singh m’a raconté qu’enfant, en Inde, il suivait son père, inspecteur de train voyageur, puis récupérait des pièces de toute sorte abandonnées après le démantèlement de wagons. Il en fabriquait des trucs utiles, comme des machines d’entraînement. C’était le début d’une longue histoire d’amour avec la récupération de pièces de métal.

Cette fois, c’est dans un garage que l’artiste me reçoit. Il m’offre une chaise pliante, en métal justement, où je m’installe après m’être assurée de ne pas trop me salir. Près de moi, retenue par un palan, une fourmi brésilienne géante me regarde.

Ce qui fascine d’emblée, chez les animaux créés par Indra, c’est l’utilisation minutieuse de tous ces bouts de ferraille pour créer des géants, comme s’il s’agissait d’un casse-tête logique. Une simple question de formes, selon lui.

« À une époque, je devais avoir 16 ans, j’ai commencé à ramasser des sculptures de bois naturelles, dit-il, des racines et des branches ayant voyagé sur la rivière. C’est ce qui m’a intéressé à la sculpture, parce que je voyais les formes inattendues, polies par des trajets de centaines de kilomètres. »

À l’université, il s’intéresse aux métaux. La soudure et le fer forgé entrent dans sa pratique. Il crée des petites pièces, et la confiance acquise l’amène à voir toujours plus grand, jusqu’au monument.

« Pourquoi la forge? », que je lui demande. « C’est pour faire revivre les métiers en voie de disparition. Durant ma jeunesse, j’observais les forgerons du village. J’ai appris en les regardant, avec ma vision d’enfant », me répond-il, les yeux brillants à l’évocation de ce souvenir.

Instinct animal

Tous ceux qui ont déjà visité le Parc Marie-Victorin de Kingsey Falls ont pu découvrir l’ampleur du travail d’Indra. Six de ses sculptures géantes d’insectes y sont installées, à des points précis d’un parcours d’interprétation thématique.

Coq, rhinocéros et grand héron ne sont que quelques-unes des bêtes qu’il a représentées avec des métaux recyclés, au fil des ans. La faune est devenue son sujet de prédilection, un peu à cause des messages dont chaque espèce peut s’avérer porteuse, m’explique-t-il. « Les insectes et les oiseaux, on ne comprend pas vraiment pourquoi ils sont là, mais ils demeurent essentiels. On les élimine avec la pollution, on détruit des marécages sans savoir si des nids s’y trouvaient. Plusieurs se retrouvent menacés. J’aime beaucoup conscientiser les gens à l’importance de ces petites bibittes. »

Ses œuvres s’avèrent donc doublement écologistes, puisque nées de la récupération des métaux qui souvent croupissent dans des champs, note-t-il, en particulier les pièces agricoles, d’automobiles et de motos.

« Il faut inspirer les gens, affirme Indra, les pousser à récupérer les déchets qu’on jette dans la nature. Des animaux se blessent et c’est un gros problème. Un jour, dans la forêt, j’ai trouvé une patte de chevreuil prise dans un ressort de matelas. C’était triste à voir. »

Artistes impliqués

Indra exploite une petite ferme biologique située à Notre-Dame-de-Ham. Il mijote plusieurs projets pour son entreprise, notamment celui de cultiver la pomme pour en faire la transformation.

Pour son village, inscrit à la liste québécoise des municipalités dévitalisées, il nourrit aussi de grandes ambitions. Pêche Nicolet ayant aménagé à Notre-Dame-de-Ham des points d’accès pour les amateurs de pêche, il souhaite en faire la promotion en érigeant une truite géante aux abords de la route 161. Le projet est à l’étude, mais subvention ou non, avec l’aval de sa municipalité, il le réalisera.

« C’est très bon ici, pour la pêche à la mouche. En installant cette sculpture sur la 161, ça va capter l’attention. Il y aura une halte et un kiosque, à la Coop, ou les gens peuvent déjà se procurer des permis », de dire l’artiste. Il souhaite impliquer le plus de gens possible, dont le comité d’embellissement, les artistes, la municipalité et la Coop. Son projet se veut rassembleur et emblématique pour sa localité, car la truite (arc-en-ciel ou mouchetée, il hésite encore) mesurera environ 5 à 6 mètres de longueur.

Transformation

Toujours installée sur ma petite chaise, à côté de la fosse de réparation, je pense à la transformation, à comment on se perfectionne dans la conception de ce type d’œuvre, puis je formule une nouvelle question : « Dis-moi, Indra, comment a évolué ta pratique, d’une œuvre à l’autre? »

Il réfléchit, se place debout près de sa fourmi brésilienne et pointe, à la manière d’un professeur d’école, les différentes pièces qui correspondent à ses propos. « J’utilise beaucoup le principe de la triangulation des pyramides, pour stabiliser les structures. Ça prend du temps pour calculer sa charge. Tout est mathématique. »

Il prend un support de lampadaire dans sa main, une pièce qui lui a permis d’épargner bien des heures de travail, affirme-t-il. « Avec la pratique, je découvre des pièces comme celle-ci, qui a été étudiée pendant des heures par des ingénieurs et qui répond à un de mes besoins. » C’est là qu’il situe en partie sa propre évolution, dans ses connaissances des différentes pièces de métal existantes et de leurs caractéristiques. « Les arts constituent un très bon exercice pour l’évolution personnelle, car tu n’es en compétition qu’avec toi-même », lâche-t-il en riant.

L’entrevue s’achève ainsi, mais je demeure assise sur ma chaise, tandis qu’il sort son casque de soudage et se remet à l’ouvrage. Je regarde les tisons qui volent un peu partout et me dis que c’est un peu de cette flamme qui l’anime.

SIGNÉES SINGH

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