Ces mouvements intérieurs qui nous fondent
MONTRÉAL | DÉCEMBRE 2020
En 2016, l’artiste pluridisciplinaire Aly Keita quittait son Afrique natale pour le Nunavut grâce à un échange interculturel entre jeunes Inuits et Guinéens – projet qui a d’ailleurs mené à la réalisation du documentaire Circus Without Borders. Si cette expérience lui a notamment permis d’apprendre à chanter en Inuit et à jouer de leur tambour traditionnel, elle a surtout facilité son intégration artistique au Canada. Deux ans plus tard, il rejoignait l’équipe de Cavalia en tant que danseur-acrobate pour le spectacle équestre Odysseo. Installé à Montréal, il poursuit aujourd’hui son développement artistique en danse, en chant, en percussions et en arts circassiens.
Aly Keita a débuté sa carrière artistique à Conakry en 2004 en tant que danseur hip-hop. En 2007, il s’est initié aux arts du cirque au Centre d’Art Acrobatique Keita Fodeba tout en pratiquant la musique et la danse traditionnelle. Encore aujourd’hui, cet héritage culturel l’accompagne, l’inspire et nourrit sa création. « C’est une façon de surmonter la distance physique avec ma famille. Nous vivons dans une ère où nous sommes hyperconnectés, mais il y a encore de grands écarts technologiques entre les régions du monde. La musique me semble une excellente façon de combler cet écart. Le fait de chanter en soussous, malenké et kissi m’aide à maintenir un lien avec mes cultures d’origine. Avec la danse, je renouvelle aussi ce lien. C’est très important de représenter ma culture dans toute sa richesse, tout en restant ouvert à la diversité. »
Ce rapport à l’autre occupe une place centrale dans sa pratique artistique ; il aime fonder de nouveaux liens créatifs, être en contact avec des artistes qui sont dans un même esprit d’échange et de partage. Il conçoit d’ailleurs l’art comme une forme de transmission de connaissances. « On peut toujours apprendre, pas seulement des autres artistes, mais de tout le monde. Il faut rester ouverts à collaborer pour se laisser inspirer. La dimension relationnelle est pour moi un levier de développement artistique, tant sur le plan de la pratique que sur le plan humain. L’échange avec les autres m’a toujours permis d’avancer. »
À ce titre, les trois dernières années ont été des plus enrichissantes pour l’artiste, alors qu’il a cumulé les tournées en plus de participer à plusieurs festivals de renom au Canada et au Québec. C’est aussi à travers ces diverses expériences qu’il en est venu à constater le potentiel thérapeutique que génère ce type de lien artistique et humain. « J’ai déjà donné des ateliers d’éveil musical pour des aînés en résidences et pour des enfants en milieu défavorisé. Dans ce contexte, j’ai vécu des expériences émotionnelles fortes en voyant des personnes qui ont des difficultés motrices graves essayer de suivre un rythme, même seulement à travers les doigts. Il y avait des personnes en larmes qui me demandaient de revenir les voir pour les accompagner. Il y a un besoin criant, pour les personnes les plus vulnérables de notre société, de retrouver une motivation grâce aux arts. C’est très gratifiant de sentir qu’en tant qu’artiste, tu peux être utile à la société, que tu peux avoir une influence sur le bien-être des personnes au quotidien. »
À travers les années, le fait d’être lui-même à l’écoute de son corps et d’observer ses propres mouvements l’a amené à mieux saisir son expressivité, à porter un regard neuf sur sa force intérieure. La puissance du mouvement lui a en fait permis de prendre conscience différemment de son univers émotionnel. « En danse, je ne pratique pas beaucoup devant le miroir. Parfois, ça arrive, mais je travaille surtout à augmenter ma perception intérieure du mouvement. La pratique est pour moi une façon de me ressourcer, de me reconnecter avec l’environnement et moi-même. J’explore l’expressivité du corps en mouvement. Chaque geste révèle du sens et transmet un état émotif. Le mouvement n’est jamais neutre, il est ancré dans l’histoire, dans la société, dans la pensée, dans la poétique. Le mouvement est révélateur de notre identité et prendre conscience de cela en l’observant contribue à renforcer le processus de quête et d’affirmation identitaire. »
Cette attention organique envers soi et autrui est peut-être en fait ce qui caractérise le mieux l’essence de sa pratique artistique, et ce, peu importe la discipline à laquelle il s’adonne. « Tout a un rythme. En tant qu’êtres humains, nous avons notre propre rythme qui est donné par le cœur et la respiration. Il y a des fondements, des principes communs qui relèvent de la mécanique de notre corps. Tant dans la danse que dans le chant, on cherche à favoriser l’ouverture de la poitrine et la respiration. Il faut aussi un certain engagement musculaire pour favoriser la projection de la voix. Récemment, j’ai fait l’expérience d’un échange artistique avec Mamselle Ruiz : elle me montrait des techniques vocales et je lui montrais des techniques de danse. C’était une surprise de voir comment la danse et le chant sont compatibles. » En fait, pour Aly Keita, deux choses comptent : le travail acharné et le développement d’une pensée propre à sa pratique artistique. Autrement dit, pratiquer des milliers et des milliers de fois pour atteindre ses objectifs, mais aussi développer une dimension intellectuelle qui soutient son travail artistique.
En ce moment, et jusqu’au printemps, il participe à une résidence artistique avec LA SERRE – arts vivants. « C’est ma première résidence à Montréal. Après trois ans en tournées, et un an de préparation intensive en danse, j’avais envie de laisser aussi un peu de place pour ma création personnelle. Pour un artiste, le processus de création est toujours latent, mais avec cette résidence, c’est différent parce que c’est un processus plus encadré. On travaille avec des personnes très expérimentées comme Émilie Martz-Kuhn (dramaturge) et Vincent de Repentigny (directeur artistique et général), qui sont très généreux de leurs connaissances et qui nous accompagnent dans notre processus de création. Ils s’engagent à nous offrir les meilleures conditions pour rester actifs malgré le contexte actuel. »
En parallèle, il poursuit également son travail avec la compagnie de danse afro-contemporaine Nyata Nyata, dirigée par Zab Maboungou et Karla Etienne, qu’il considère comme des mentores. « On s’entraîne trois fois par semaine, ce qui requière beaucoup d’endurance physique avec les nouvelles règles sanitaires. Je travaille en même temps sur mes projets musicaux, surtout sur mes compositions. J’ai aussi été invité par l’Opéra de Lévis pour participer au concert virtuel Les Somptueux Noëls du monde, qui sera webdiffusé le 18 décembre 2020. »
Pour en savoir plus sur Aly Keita, rendez-vous sur ses pages Facebook et Instagram