Ces instants de grâce liés à l’écriture
QUÉBEC | AVRIL 2020
Si Maude Rückstühl rêvait déjà d’être écrivaine à l’âge de neuf ans, il lui aura fallu emprunter quelques détours académiques et professionnels – dont un baccalauréat en études littéraires, profil création – avant de finalement trouver le courage de publier son premier roman, Légion, aux Éditions ADA en 2018. Romancière et nouvelliste spécialisée dans l’horreur, le suspense et le fantastique, elle compte désormais quatre romans à son œuvre, dont le plus récent, Rumpelstiltskin, vient tout juste de s’ajouter à la populaire collection des Contes interdits.
« La tragédie, le suspense, le macabre et le fantastique ont toujours fait partie de moi », dit-elle d’emblée. Elle se remémore d’ailleurs les moments de son enfance où sa mère l’observait rêvasser dans sa couchette à des heures tardives, le rêve éveillé lui étant plus attirant que le sommeil. En fait, Maude a toujours aimé donner vie aux objets. « En attendant le repas, j’animais M. Couteau et Mme Fourchette ; je faisais parler la moppe, et j’aimais tellement jouer avec mes poupées et mes marionnettes que je voulais être marionnettiste. » Un intérêt pour la personnification qui se sera ensuite transposé dans l’écriture de personnages aussi loufoques que tragiques. « Entre les traumatismes de guerre vécus par mon père, français, lorsqu’il cavalait sur des monticules de morts avec sa mère et ses frères et sœurs pour échapper aux Allemands, la poule décapitée qui s’agitait devant la fillette ébahie que j’étais, et la mystérieuse chambre froide de notre grange où, malgré l’interdiction d’y entrer, je m’étais hasardée à jeter un œil pour y découvrir avec frayeur des quartiers de viande suspendus à de gros crochets, j’ignore l’origine de ma fascination pour l’horreur. Pour y avoir souvent réfléchi, je pense que notre âme traîne, au gré de ses vies, des empreintes mémorielles qui pourraient s’expliquer par le passé de nos ancêtres. Une chose est certaine, c’est que je n’ai pas à forcer quoi que ce soit pour composer ces genres d’écrits. »
Forte de son parcours académique en création littéraire où elle a appris l’importance de se mettre à nu en dévoilant ses œuvres à l’état embryonnaire, elle a finalement décidé, en 2009, de mettre sa voix d’écrivaine à l’épreuve en participant au Prix de la nouvelle de Radio-Canada, concours dont elle a été l’une des finalistes. « Mon frère Éric Rückstühl, un talentueux bédéiste français, m’avait conseillé de participer au concours pour me faire connaître. C’est ce que j’ai fait, et quelle surprise en décachetant l’enveloppe ! Le succès de la nouvelle “Le Trophée” a été mon espoir et ma bouée de sauvetage dans les moments où je désespérais d’être publiée. » Dix ans (et quatre romans) plus tard, son imagination débordante ainsi que sa maîtrise exceptionnelle de la langue ont fait d’elle une écrivaine notable. « J’aime utiliser des beaux mots, des phrases qui, musicalement, s’agenceront bien à la poésie que j’entends dans ma tête lorsque j’écris. Mon écriture doit être soignée. J’admire les auteurs qui emploient un jargon québécois, car j’éprouverais de la difficulté à rédiger dans une “musicalité” québécoise. Là aussi, je ne force rien. Je laisse parler la voix de mon imaginaire et cette “voix” a l’accent français. J’adore l’écriture du 19e siècle. Je trouve qu’à cette époque, on prenait le temps de savourer l’agencement des mots, d’écouter leurs musicalités et de les embrasser avec sensibilité. Maintenant, je sens que l’on privilégie les phrases courtes et simples. »
Cette attention aux détails lui demande cependant une grande rigueur au travail. C’est pourquoi elle écrit tous les jours pendant au moins deux heures. Cela dit, elle a la chance d’écrire vite, ce qui lui permet d’enchaîner les projets. « Quand une histoire m’enivre, j’en vois le film et je dois me dépêcher pour ne pas laisser filer les scènes. Dans ces instants de grâce, j’oublie l’existence du temps, et mon corps, fidèle complice, se tait. Je suis aussi souvent inspirée par des rêves nocturnes ou par des idées qui jaillissent en pleine nuit et que je dois m’empresser de noter pour ne pas céder mon concept à l’univers. » Ces jours-ci, elle travaille justement sur un nouveau roman qui mélangera science-fiction, horreur et suspense, de même que sur une trilogie intitulée Mamaaan… ?, laquelle portera sur les fantômes et les démons. Cette dernière devrait paraître à l’automne 2020 ou au début de l’année 2021.
Pour en savoir plus sur Maude Rückstühl et son œuvre, rendez-vous sur sa page Facebook.